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lundi 24 décembre 2012

Anna Karénine



Sorti le 5 décembre 2012
(Roman de Tolstoï paru en 1877)
De Joe Wright
Avec Keira Knightley, Jude Law
Genre: Adaptation, Historique, Drame
Britannique








Un couple inséparable 

Il y a toujours un réalisateur et un acteur (ici une actrice) fétiche. 

Joe Wright est un réalisateur que je connais bien puisque de lui, j’avais déjà vu ces deux films majeurs dirait-on, en tout cas les plus connus, Orgueil et Préjugés et Reviens-moi. Le premier, adaptation du magnifique roman de Jane Austen non moins brillante de par sa fidélité à l’œuvre littéraire, sa composition typiquement british, son charme et son élégance classique et sa très belle musique. Le deuxième, adaptation également fidèle de l’œuvre de Ian McEwan Expiation (Atonement en anglais), est l’un de mes films préférés car il recompose de manière à la fois poétique et dramatique dans un style soutenu et vif une histoire tragique se mêlant à l’Histoire de la seconde guerre mondiale. Toujours avec finesse et prestance, Keira Knightley se distingue et interprète à la perfection les rôles de ces femmes souvent victimes, souvent empruntes à un grand désarroi et en même temps à une histoire amoureuse passionnée et passionnelle. 



Le classique 

Je connais donc bien ce couple cinématographique Wright-Knightley et je vous avoue que je m’attendais, avec une certaine appréhension de déjà-vu, à revoir toujours la même chose : un style classique aiguisé à la perfection, minutieusement préparé et conçu, des belles robes soyeuses d’époque à répétition et des bals si nombreux qu’ils vous font tourner la tête. Je m’attendais à voir la même composition, la même scénographie, les mêmes sourires et les mêmes larmes ou cris, la même musique. Certes, il y a une scène dans Anna Karénine qui est exactement identique à celle d’Orgueil et préjugés où les deux futurs amants sont au bal, ils dansent et tournoient sans cesse au milieu des autres couples danseurs quand soudain ils se retrouvent seuls dans la salle de fête, seuls à danser, comme si le monde autour d’eux s’évanouissait et n’avait plus d’importance que leur danse à eux, leur regard à eux, leur amour à eux. 



Le moderne 

Cependant, à part cette scène, permettez-moi de vous dire que vous allez être surpris ! Je dois bien reconnaître que j’ai été cette fois-ci très étonnée par le film de Joe Wright. On retrouve bien sûr sa patte, des éléments de sa poésie, des éléments du drame romantique classique mais il a clairement essayé cette fois-ci d’être, allez j’ose le mot, d’être moderne. On parle de modernité à tout va, on a parlé d’une version moderne de Marie-Antoinette par Coppola, peut-on ici parler de modernité ? La mise en scène est définitivement originale. Elle l’est tellement que pendant les dix premières minutes du film, vous êtes un peu interloqués, vous ne comprenez pas trop ce qui passe ni dans le fond ni dans la forme de la narration. Et puis petit à petit les choses se mettent en place et tout s’éclaire. Je reprocherais à ce début d’être trop confus. 

Une œuvre littéraire au cinéma 

Cette fois-ci, cependant, et c’est peut-être plus clair pour qui a lu le livre, je ne peux attester de la fidélité ou juger de l’adaptation par rapport à l’œuvre littéraire de Léon Tolstoï puisque je viens à peine de commencer les quelques pages de cet énorme pavé. Le film a peut-être déjà le mérite d’avoir su condenser l’œuvre très longue en - à peine - deux heures. D’aucuns ont trouvé certaines longueurs dans le film. Personnellement, je ne me suis pas ennuyée une seconde ayant au contraire trouvé le rythme soutenu et captivant comme toujours cadencé par une musique au piano (on retrouve ce repère) néanmoins se distinguant bien des autres compositions entêtantes d’Orgueil et Préjugés ou du piano martelé d’une machine à écrire dans Reviens-moi. En somme, une jolie musique au piano qui sait s’imposer dans les moments terribles et se faire discrète aux bons moments. 

Bande Annonce VOST

Un couple original : théâtre in cinéma 

Lorsque les dix premières minutes passent et que vous avez finalement réussi à entrer dans l’histoire, vous la suivez d’un œil parce que la bande annonce vous a déjà expliqué les grandes lignes (une liaison qui détruit un mariage, en gros. Je vous laisse vous reporter au synopsis ici) et vous commencez à analyser de l’autre œil comment elle est racontée (défaut de vouloir toujours tout observer et analyser ? peut-être.), comme elle s’offre à vous. Tout ou presque se passe dans un théâtre. En réalité, ce qui est vraiment moderne dans ce film c’est qu’il n’est pas que film, il est aussi pièce de théâtre. Les scènes filmées sont extrêmement théâtralisées comme celles où tous les personnages s’immobilisent comme dans une peinture ou une scène de théâtre figée. 

Alors que le cinéma est (trop ?) souvent synonyme de mouvement, ici la pause permet de prendre son temps pour réfléchir, de mieux apprécier la joie ou le drame. Les expressions sont parfois sur-jouées et les personnages seraient presque plus proches de nous, parce qu’ils sont sur une scène en bois où le parquet craque. Les personnages sont seuls sur scène face à leur désarroi (l’enfant abandonné par sa mère dans son lit qui doit soudain le quitter le jour de son anniversaire car le père est entré et que les parents divorcés ne font plus bon ménage). Le théâtre sert de prétexte à mettre en scène le quai d’une gare d’ordinaire animé ici figé pour laisser avancer le personnage perdu au milieu de tous, ou l’opéra en lui-même que les personnages viennent assister mais où Anna Karénine est mise en disgrâce et recouverte de honte par les regards désapprobateurs de ses anciens « amis » de la société mondaine parce que la société c’est se recouvrir d’un masque et d’hypocrisie mais qu’ici, Anna se présente vraiment nue et à découvert avec audace et courage. L’espace où d’ordinaire se trouvent les sièges pour assister au théâtre sont enlevés ce qui laisse place à un espace vide pour le bal ou pour le simple transit des personnages qui se croisent comme dans le quotidien, car comme le disait si bien Jean-Paul Sartre, « la vie, c’est une panique dans un théâtre en feu ».


Le théâtre (le bâtiment) devient la maison où se croisent les amants en même temps qu’il est le bureau du frère d’Anna le comte Oblonsky, mais aussi le restaurant où dinent le frère et Lévine, l’amoureux transi de Kitty, celle qui était censé épouser l’amant qu’Anna lui a « volé ». Je vous l’avais dit que c’était compliqué.. et ce n’est pas faute d’essayer de rendre ça simple ! Les décors se transforment en même temps que les personnages évoluent. Les coulisses du théâtre où s’entremêlent les cordes servent de rue où vagabondent la classe sociale la plus basse, alors même qu’elle se trouve pourtant en hauteur par rapport aux salons nobles. Le théâtre devient une patinoire glacée et en même temps un hippodrome. Le théâtre est protéiforme et polymorphe. Il est pluriel et c'est dans cette capacité de se transformer que la scène devient d'autant plus magnifique. 

La théâtralité et la modernité continuent dans les robes de taffetas vert anis et prune aux formes peu inhabituelles (ou était-ce vraiment la mode à la russe de l’époque ?) et le ballet des vêtements qu’on enfile tout en lisant un télégramme ou tout en recevant un ami nous fait autant tournoyer la tête que les passions et les souffrances dans lesquelles se déchaînent les personnages. Le froid glacial de Russie est tellement sur-représenté qu’on en ressent des frissons dans la salle chauffée du cinéma et le train-jouet se transforme en vrai train qui pourtant, et c’est clairement (fait exprès ?) visible, ressemble à une maquette. Cela m’a semblé incongru. 



Des couples opposés : Kitty et Constantin / Anna et Vronsky 

Mais permettez-moi de revenir un instant sur l’histoire et de ne pas être réductrice au point de parler seulement d’une histoire de trahison. Il s’agit en réalité bien plus que cela de plusieurs histoires d’amours imbriqués qui remettent en question les mœurs et les valeurs morales de la société russe et plus précisément de la noblesse et de l’intelligentsia que Tolstoï critique, sous l’Empire russe dans la seconde moitié du XIXème siècle. Dans le film, plusieurs thèmes très importants sont rapidement abordés et sous-jacent à l’histoire principale : la religion, la mondanité, l’exubérance de la richesse, le faste et l’importance de l’apparence face au mode de vie des simples paysans-esclaves, la liberté, les divisions entre classes sociales… On décèle un manque de possibilité de les exploiter à cause du temps réduit de la pellicule ; on suppose que dans le livre ils sont davantage détaillés et de ce fait le film donne encore plus envie de lire l’œuvre. 

Les scènes les plus marquantes sont celles où ces thèmes sont abordés : lorsque le mari tente de retenir sa femme de le tromper car « ce serait tromper Dieu » et d’éviter un scandale public par peur du regard de la société mondaine. Lorsqu’en faisant l’amour et en ayant un orgasme avec son amant, Anna Karénine s’exclame « Pardonnez-moi mon Seigneur ». Lorsque Constantin Lévine, un propriétaire terrien, souhaite pourtant faucher le blé doré avec ses paysans et qu’il aspire à une vie plus simple et heureuse comme les paysans qu’il observe au diner, qui sont certes pauvres et qui ne sont pas libres mais qui sont heureux en amour et en couple, il devient dès lors le porte parole de Tolstoï qui luttait pour les pauvres et contre les privilèges. Cela transparaît dans le discours du frère malade de Constantin qui s’est marié à une prostituée et qui traite son frère de capitaliste juste parce qu’il porte un haut de forme et parle de manière distinguée pour séduire Kitty qu’il aime éperdument. En effet, il aspire à une vie à la campagne loin de Moscou et de ses ridicules mondanités mais souhaite épouser Kitty, une jeune princesse qui vient de ce monde. Lorsqu’elle lui prouve qu’elle peut dépasser les frontières sociales en côtoyant la femme prostituée et en l’aidant à s’occuper de son frère mourant, Constantin s’émerveille de ce que leur couple est fort et beau. 

Difficile d'être soi-même quand on vit dans une société du paraître


Parallèlement, l’autre couple des amants Anna Karénine et Vronsky déchire la famille Karénine (un haut fonctionnaire qui voit son projet politique abandonné en même temps que sa vie maritale chuter). La vie devient dégringolade, la vie est panique. On se doute de la fin grâce aux nombreux indices essaimés dans le film mais ce n’est pas ce suspens là qui importe vraiment. C’est plutôt comment on en arrive à cette fin là qui est intéressant. Et puis finalement, on a toujours tendance à se demander « et si c’était moi qui était dans cette situation, qu’aurais-je pu faire de différent ? Comment aurais-je réagi ? » On se trouve bien en peine de répondre. On a tendance à pencher du côté de l’auteur… oui c’est vrai qu’une vie simple finalement c’est mieux que tout ce luxe dérisoire… C’est un peu facile mais cela vaut la peine de se faire la réflexion. Ne serait-ce que sur l’évolution du regard de la société sur l’adultère, sur la valeur du mariage actuellement, sur la force ou non de pardonner charitablement et sur le train de vie que l’on peut avoir. Je pense que l’œuvre tolstoïenne regorge de réflexions profondes qu’il nous faut méditer et que Joe Wright a particulièrement bien essayé de mettre en exergue. 

J’aimerais faire une remarque pertinente qui m’a été inspirée par une amie. Kitty choisit finalement l’amour-raison envers Constantin puisqu’elle n’a pas pu avoir Vronsky qu’elle voulait par amour-passion. Anna avait choisi l’amour-raison quand elle s’était aussi mariée à 18 ans à Karénine mais après avoir résisté pendant de longues années, elle cède finalement à son amour-passion envers Vronsky. Comme le dit très bien ce dernier, l’amour-passion mène « soit au plus grand bonheur soit au plus grand malheur ». Certes, l’amour-raison est rassurant mais il est ennuyant alors que l’amour-passion est destructeur mais exaltant. Dès lors, quel choix faire ? Tour à tour les personnages choisissent puis changent alors que la vie mène son cours et que les choix sillonnent leurs parcours. Mais cet amour-raison n’est-il pas finalement aussi destructeur puisque Kitty ne finira-t-elle pas elle aussi par se lasser, et succomber à un autre amour-passion pour compenser sa frustration ? Le cercle semble vicieux si l’on ne fait pas les bons choix aux bons moments, mais comment savoir… 

Casting 

Keira Knightley continue d’exprimer à souhait le rôle de femme dramatique, d’anti-héroïne tragique racinienne. Cependant je lui reprocherai de ne pas renouveler ses mimiques, son jeu selon les différents personnages. Elle frise toujours une limite à ne pas dépasser mais elle remplit son rôle après tout si bien, qu’on a tendance à oublier que c’est toujours le même, dans tout ses films. Même dans A dangerous Method de David Cronenberg, elle joue une folle déchaînée dans son infatuation envers son psychanalyste. Je soulignerai la remarquable prestation de Jude Law en Karénine, mari humilié mais prêt au pardon, ferme et sérieux, solide et intransigeant mais déchiré et aussi remarquable maquillage puisque je ne l’ai reconnu qu’au bout d’1h30 de film (ou alors, c’est moi qui n’ait aucune capacité de reconnaissance faciale ?). Je noterai enfin la présence de Matthew MacFadyen (également méconnaissable !) qui joue ici le frère d’Anna mais qui était déjà son amant, le célèbre Darcy, dans Orgueil et Préjugés. 



En conclusion, à part quelques scènes franchement absurdes, inappropriées et inutiles (comme celle où un personnage se mouche de manière dégueulasse après que Kitty et Constantin se soient déclarés leur amour de manière émouvante à travers des lettres en bois - les anciens textos : et oui à l’époque aussi ils trouvaient ça plus facile à l’écrit - ou celle dans laquelle Constantin dit avoir eu une révélation à sa femme qui insiste « qu’est-ce que tu as compris ? » mais finalement il ne dit rien… peut-être tout était dans le regard et j’ai mal compris), le film se démarquera dans mon esprit pendant longtemps comme étant franchement original, beau, déchirant et très bien réalisé ce qui n’aurait pas pu faire mieux honneur à l’œuvre tolstoïenne. 

Alors, tous à vos écrans et pour le coup, tous à vos livres!

L'accordeur

Sorti en 2010
D'Olivier Treiner
Avec Grégoire Leprince-Ringuet, Grégory Gadebois
Genre: Thriller
Français
Récompensé par le césar du meilleur court-métrage en 2012











Je vous conseille ce court-métrage qui est finement réalisé, dont le scénario est excellent, très bien construit. La réalisation est impéccable et magnifique. La fin vous glace le sang et vous donne des frissons dans le dos mais vous ne regretterez pas de l'avoir vue. Tout est dans le suspens, tout est dans la chute qui est géniale. Vous fait réfléchir sur les notions d'échec, de tromperie, de sensibilités, de destin. 

Alors, bon court!

Inception

Sorti le 21 juillet 2010
De Christopher Nolan
Avec Leonardo DiCaprio, Ellen Page, Marion Cotillard
Genre: Science fiction, thriller
Américain, Britannique










Sensation éternelle de chute. De pouvoir, comme s'il était facile de construire tout comme on le souhaite. Tout est en mouvement, tout le temps, partout. Tout se renverse et se bascule. La pesanteur n'existe plus et les corps s'inversent. La mastication de son âme en papier mâché est lancinante. La masturbation de son cœur en patte à modeler s'avère être longue et douloureuse. On le broie de l'extérieur. Des graines sont implantées un peu partout mais ne poussent pas. Il a du mal à croitre, qui l'eut cru! Des inceptions à cœur ouvert sont pratiquées sur le cerveau d'une personne fragile. Il faut recoudre avec du fil de fer pour être sûr qu'il ne se brise pas au premier coup de dent. Un fil qui ne rouille pas de préférence. Refermer, enfouir avec propreté, sans bavure. Refermer sans laisser de trace. Car le tout ce n'est pas d'ouvrir, de lancer un sujet. Cela paraît insurmontable quand en réalité (attention: laquelle? où? existe-t-elle? rien n'est réel lorsque l'on est dans un état second d'hébétude) c'est simple comparé à la lourde tâche de devoir clore quelque chose. C'est bien plus difficile de terminer que de commencer, de détruire que de construire, de reconstruire que de détruire. Comme s'il n'y avait jamais de fin et que nous allions errer à jamais dans les limbes de notre esprit. Mais si la réalité est irréelle et que les rêves sont notre échappatoire, il n'y a aucun moyen de savoir. La connaissance de la vérité est impossible. On se prend la tête, on la secoue, on la remue dans tous les sens mais les barrières sont trop solides. Pas de faille dans le labyrinthe de la recherche. Il est à la fois intransigeant et incassable. Rien ni personne ne passe. Il n'y a pas de fin en fin de compte et tout s'interrompt brutalement. Le noir devient et nous devenons à nouveau autre chose dans une nouvelle lumière aveuglante. Nous continuons sans cesse de devenir dans un présent qui n'est jamais rien d'autre que l'inconscience du temps qui passe, le subconscient de notre avenir et de nos passés. Le présent c'est ne rien savoir. Le présent c'est ne pas penser. Juste vivre. Juste cela, rien de bien compliqué. Vivre dans la simplicité de la complexion. Ma pensée est tellement confuse et pleine que je n'arrive pas à l'ordonner pour exprimer ce que je ressens. Mais comment peut-on ressentir avec sa pensée? Est-ce seulement possible? Mystère. Je ne crois pas. 


Bande Annonce VOST


Le tout ce n'est pas de voler de ses propres ailes mais bien de pénétrer les secrets. Les préserver, les respecter, les partager. La tâche qui est encore plus délicate et qui demande habileté, dextérité et calme est d'aller en profondeur dans chaque chose qu'il nous est donné de voir, d'entendre, d'expérimenter et de vivre. Enfouir, creuser. Aller "jusqu'au bout du monde et du rêve." Le rêve conscient n'est d'ailleurs qu'une manifestation de celui que l'on fait endormi. Le rêve que l'on cultive toute notre vie est tapi, endormi du sol au plafond capitonnés pour ne pas qu'il nous échappe. Mais il suffit qu'une griffe d'agressivité sorte pour que toutes les coutures implosent. La vitre tintée ne nous reflète plus et le miroir se brise. Le ralenti intensifie l'expérience de la destruction. Au milieu de cela, nous flottons serein. Car nous savons que le danger n'est qu'une peur, celle de mourir ou de souffrir. Et cette peur nous paralyse alors que le mouvement nous balance. Nous éveille à la respiration. Le souffle coupé, nous revenons à la surface d'un immeuble de plusieurs étages sous-terrain. 



Le tout ce n'est pas de voler mais mal de donner, fournir, implanter, faire germer, partager, changer. La modification d'un verbe engendre le bouleversement de morts et de vies entières. 
Remettre en cause la morale est un exercice, bien que parfois choquant et même déroutant, très intéressant. 

Alors, tous à vos écrans! 

vendredi 21 décembre 2012

Skyfall



Sorti le 26 octobre 2012
De Sam Mendes
Avec Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem
Genre: Action, Espionnage
Américain, Britannique 













Le ciel m’est tombé sur la tête ! 

Le nouveau James Bond a fait polémique : pour certains il ne s’agit plus que d’un film d’action à gros budget qui a perdu l’âme de l’espion britannique, notamment depuis que Daniel Craig, le blond musclé aux yeux bleus est devenu le nouveau OO7. Il n’est pas un brun ténébreux comme Sean Connery en son temps ou plus récemment Pierce Brosnan et il ne rend pas heureux les James-Bond-fans-de-toujours. Pourtant, « I agree to disagree », je ne suis pas d’accord. 

Bon, mon interprétacteur (mot-valise bien pratique que je viens d’inventer) préféré est Pierce Brosnan, je vous l’avoue, c’est juste une histoire de feeling et sûrement aussi d’époque : il a été mon premier, mon premier James Bond. Mais cela ne m’empêche pas d’apprécier Daniel Craig qui interprète très bien un agent secret fort (« je me plante un couteau dans la peau et d’abord j’ai même pas mal ! » beurk…) et mystérieux, et qui réussit à être un blond ténébreux (si si c’est possible, la preuve) en puissance. Je ne vois pas pourquoi James Bond devrait être brun, blond avec des yeux verts ou cacahuète, il pourrait même être roux (ho mon dieu, scandale !) qu’on s’en ficherait. Je veux dire : l’important c’est pas le physique, n’est-ce pas ? L’important c’est l’âme du James Bond : un espion qui séduit les femmes, qui fait des petites blagues tout en tuant le méchant et qui trouve encore du temps pour faire le tour du monde en se la pétant.


 Bande annonce VOST


Bon, je vous accorde aussi qu’il y a beaucoup plus de cascades spectaculaires qu’avant, que le budget est devenu pharaonique et que les effets spéciaux se sont fait une énorme place (le métro qui te fonce dessus, comment réussir à ne pas montrer qu’il s’agit d’un montage sur ordinateur - ou d’une maquette très très bien faite -). Mais encore une fois, où est le problème ? James Bond (que ce soit le personnage comme le film éponyme) ne pouvait pas en rester aux années 1960, il se devait d’évoluer avec son temps et je trouve que c’est plutôt bien réussi. Contrairement au dernier James Bond, Quantum of Solace, que j’avais trouvé très décevant, Skyfall a franchement bien rattrapé le coup. 

Skyfall témoigne de l’évolution des James Bond car il intègre les problématiques actuelles : les cybers attaques qui sont les nouvelles guerres d’aujourd’hui et de demain, les ennemis qui ne sont plus des Etats mais des personnes individualisées et les institutions gouvernementales en crise profondément remises en question et attaquées pour leur (manque d’) efficacité. Le jeune Q interprété par Ben Whishaw chargé de donner tous ses gadgets à James Bond représente éminemment cette nouvelle génération et cette nouvelle tendance. Face à un magnifique tableau de Turner, il rencontre 007 avec humour et poésie. Alors qu’on avait l’habitude du bon vieux et incontournable John Cleese, le visage est frais et jeunot mais pas moins efficace. Il propose à Bond uniquement un pistolet avec reconnaissance par emprunte digitale et ajoute ironique aux vues de l’air surpris et mécontent de Bond « vous ne vous attendiez tout de même pas à un stylo qui explose ? » La réplique est drôle, efficace, cinglante. Référence directe aux anciennes valises qui diffusent des gaz lacrymogènes et autres bagues brisant la glace. Désormais, les gadgets sont épurés, peu nombreux mais terriblement utiles. On innove tout en rendant hommage aux précédents films, c’est parfait. 




Javier Bardem

Ce qui est très intéressant c’est de voir en l’espace d’un mois à peine un James Bond des années 1960 « Bons baisers de Russie » et un James Bond fraîchement sorti des années 2010 « Skyfall ». Toutes les semaines j’assiste en effet à un atelier de cinéma en anglais à mon université (http://crlcinema.wordpress.com/et on a fait un cycle « Sean Connery » du coup on a commencé avec Bons baisers de Russie. C’était marrant de pouvoir comparer l’évolution. A l’époque, ils n’hésitaient pas faire presque semblant et à ce que ça se voit. Tout était plus artisanal mais cela permettait davantage de réalisme. C’est tout aussi distrayant. Bond avait la class, il l’a toujours. Bond avait l’humour (hop là je remets ma cravate et mes boutons de manchettes alors que je viens de tuer un homme), il l’a toujours. Bond était vieux jeu avec les femmes, désormais ce sont elles qui le tuent ou font les bad girls en le menant par le bout du nez. Bond se promenait dans le grand bazar d’Istanbul, désormais il fait une course poursuite en moto sur les toits de la ville face à la Grande Mosquée. Bond était dans la Guerre Froide un acteur majeur, Bond est désormais un pion du MI6 dans les conflits internationaux qui vieillit et se noie dans l’alcool. 

Cette fois-ci, on attestera d’une présence bien moins importante des « James Bond Girl ». Bien sûr les scènes torrides dans la douche   ou contre un mur sont encore là. Et ce n'est pas moins qu'un agent féminin qui fait disparaître James Bond. C'est dans une scène au fil du rasoir que le suspens se pend à notre gorge et qu'un simple acte de nettoyage devient sensuel. Bien sûr, les femmes sont encore là, envoûtantes. Mais moins peut-être parce que notre James n’a pas trop la tête à ça et qu’il se morfond plutôt sur lui-même et sur son existence. On assiste à un James Bond bien plus sentimental, bien plus profond aussi et pour une fois, ça fait du bien. Avoir davantage accès à notre agent double préféré au lieu de le voir complètement distant de toute chose a du bon en soi. On découvre l’enfance orpheline et triste de Bond dans un manoir perdu au milieu des paysages délabrés d’Ecosse. Le manoir semble hanté de souvenirs rappelés par le garde-chasse. Le conflit semble de prime abord très international avec un petit détour par la Chine et une scène magnifique au niveau du jeu des lumières et de la musique sur une île-casino entourée de lampions et de dragons en papier et qui accueille ses visiteurs avec un vrai dragon de Comores tout à fait charmant. Mais en réalité, le conflit devient personnel.

Il est vrai que le film démarre lentement, le méchant n’arrive qu’au bout d’un certain temps. Mais je ne me suis pas ennuyée et si vous oui, c’est que vous n’avez jamais vu Last Days. Ce méchant est en fait un fantôme du passé de M et tous ces obscurs événements et meurtres ne sont finalement le fait que d’une vengeance personnelle qui a pris une sacrée ampleur. Ce méchant, c’est Javier Bardem qui le campe. Un de mes acteurs fétiches qui à mes yeux est l’un des meilleurs acteurs de ce siècle. Bon, en blond je vous l’accord il est terriblement laid. Mais on a dit que l’apparence ne comptait pas ! Dans ce rôle de schizophrène paranoïaque voulant défier le monde entier mais surtout ses deux ennemis jurés, il est juste parfait. Fou, piquant, effrayant. Il entre tellement dans son rôle que c’en est presque inquiétant mais absolument remarquable.


Adèle - Skyfall song 

James Bond est donc plus humanisé, moins héroïque. Ou alors c'est un héros différent, un héros des temps modernes, au coeur fragile, en proie aux doutes et un héros courageux dans son élégance et son humilité. Il nous touche dans son désarroi et dans sa quête d’utilité. Entre la vie et la mort, tel un zombie errant, tel un fantôme de lui-même, il se cherche comme nous tous et ses faiblesses sont apparentes. James Bond vieillit tout simplement, et ses aptitudes ne sont peut-être pas aussi bonnes qu’avant. Il lui faut l’accepter mais cela reste difficile. Il est aussi humanisé dans ses rapports avec M, qui sont de plus en plus forts et de plus en plus émouvants. Ils vieillissent ensemble et doivent défendre avec ferveur leurs rôles, leur utilité, leur vie en somme. L’action de la jeunesse laisse place aux rides et aux paroles mûres et assagies par l’expérience. Le plaidoyer poétique de M devant les ministres est très beau et emblématique du combat qu’il faut mener pour garder sa place, car même les plus hauts peuvent chuter. 

“We are not now that strength which in old days
Moved earth and heaven; that which we are, we are;
One equal temper of heroic hearts, 
Made weak by time and fate, but strong in will 
To strive, to seek, to find, and not to yield.” 

Ulysses, Lord Alfred Tennyson

Skyfall est beaucoup plus photographique et visuel que ses prédécesseurs, c’est peut-être ça qui en fait un beau film, plus qu’une simple distraction. Les paysages écossais sinistres mais enveloppés d’une brume charmeuse, la skyline de Shanghai avec ses lumières bleutées et miroitantes, informatisées et mouvantes, les dragons rouges et les feux jaunes, les lacs gelés et les flammes rougeoyantes, le bleu et le rouge, le froid et le chaud toujours en oppositions, mais aussi les plages paradisiaques… tout cela donne un visuel dense et riche qui ne fait qu’éblouir nos yeux. Seul bémol: le manoir, qui est par ailleurs une bombe à retardement mais qui nous ravit par sa défense aussi artisanale et simple qu'intelligente et efficace (retour aux vrais valeurs du combat, finies les victoires aisées), semble un peu posé comme un cheveu sur une soupe au milieu des paysages désertiques écossais, posé comme un ballon de baudruche au milieu d'aiguilles, sur-posé je dirais même. Mais bon, ça ne fait que renforcer l'austérité et l'isolement du lieu qui ont déteint sur l'enfant puis l'adulte Bond. 



Finalement, James a fait un grand Bond en allant vers la modernité tout en gardant et en équilibrant ses liens (bonds en anglais) avec sa tradition so British. En témoignent l’agent double méditant mystérieux devant le drapeau anglais porté fièrement en étendard dans le vent londonien, le retour emblématique de l’Ashton Martin dans toute sa puissance et sa splendeur, le retour également du traditionnel bureau de M capitonné et de la secrétaire Moneypenny qui garde une relation ambigüe avec l’agent (on ne sait pas s’ils se draguent juste ou s’ils ont en fait vraiment eu une liaison, le mystère demeure) et enfin le générique qui reste dans l’âme même des James Bond. Ce générique dont il me faut dire un mot : agréablement surprise par la chanson d’Adèle, je l’ai trouvé magnifique. Autant la chanson que le graphisme. Les femmes, les armes, le sang, les têtes de mort, tout y est. La voix d’Adèle dans sa magistrale puissance et en même temps dans sa légèreté aigue permet d’apprécier ces deux tenants opposés qui composent James Bond et son histoire. J’ai beaucoup aimé le passage dans l’eau qui fait directement suite à une scène cruciale du film (la chute du héros) et qui nous embarque dans l’apesanteur aquatique. Cependant, j’aurais préféré qu’on reste dans cet environnement liquide et dans un générique unifié au lieu de changer sans cesse de fond et donc de milieu, ce qui a rendu le générique un peu fouillis et dispersé au lieu d’être centré sur un thème unique. 

En somme, un excellent James Bond selon moi: drôle et sombre à la fois, distrayant et captivant, émouvant et travaillé, profond enfin.  


Alors, tous à vos écrans!


Petit bonus linguistique : vous ne le saviez peut-être pas (moi non plus, je viens de l’apprendre) mais « bond » en anglais signifie « caution » pour un appartement par exemple. A méditer. 



Opération Argo




Sorti le 7 novembre 2012
De Ben Affleck 
Avec Ben Affleck, Bryan Cranston, John Goodman 
Genre: Historique, Thriller, Drame
Américain 











L’acteur mais aussi réalisateur Ben Affleck a réussi son pari. Argo est un nouveau bijou du cinéma de suspens et d’action. Le film raconte l’histoire vraie d’un agent de la CIA, Tony Mendez, qui va essayer d’expatrier et de sauver six membres de l’ambassade américaine en Iran réfugiés à l’ambassade canadienne au moment où les iraniens ont pris en otage l’ambassade américaine en 1979. Ces six diplomates américains se retrouvèrent confinés dans le secret total. Ils ne pouvaient pas sortir sous peine d’éveiller les soupçons sur leur provenance nord-américaine chez des iraniens fervents anti-américains qui réclamaient le rapatriement de l'ancien shah d'Iran pour le juger et le condamner alors que ce dernier s’était réfugié aux Etats-Unis pour des raisons de santé.

Le film est donc historique, mais pas seulement. Le début retrace les évènements politiques iraniens et américains qui vont conduire à l’opération Argo qui donne son titre au film. Ce générique historique permet d’y voir plus clair dans un évènement dont finalement on sait peu de détails. L’opération a en effet, comme on l’apprend à la fin, longtemps été maintenue secrète par la CIA.    C'est aussi dans la mise en scène que le réalisateur rend le film  très historique. On dirait presque un reportage photographique, un document inédit sur une révélation historique. De plus, les manifestations sont souvent filmées de sorte que l'on croirait presque à de vraies images d'époque. Les deux (vrai et reconstitution) pourraient totalement se mélanger sans que cela puisse se distinguer. Mais à la fin du film, Ben Affleck atteste encore davantage de cette dimension fortement historique en rendant hommage et en montrant les vrais visages des diplomates qui s'étaient réfugiés  à l'ambassade canadienne et qui étaient devenus leurs propres prisonniers. Ben Affleck a réussi à se procurer de sacrés documents!

Cependant, le long-métrage se construit peu à peu autour d’une intrigue cruciale : l’agent de la CIA interprété par Ben Affleck lui-même va-t-il réussir à sauver et expatrier les agents diplomatiques sans problème alors même qu’ils ne peuvent pas passer les contrôles de sécurité très stricts à l’aéroport et aux frontières ? 



Argo devient dès lors un film d’action mais surtout de suspens. J’étais sur ma chaise de cinéma en train de prier à chaque minute de l’opération pour qu’elle réussisse. Quand on ne connaît pas l’histoire, on ne sait pas quel est le dénouement et c’est tout l’intérêt du film. Le revoir par contre semble impossible : c’est-à-dire que cela ne procurerait absolument pas les mêmes sensations d’angoisse et de peur face à la réussite ou à l’échec de l’opération secrète. Toutefois, je pense que le seul fait de ne pas connaître le dénouement n'explique pas tout: le suspens est surtout réussi parce que les acteurs et le réalisateur ont su le mener jusqu'au bout sans trépider et à le faire crescendo, sans faux pas. C'est là toute la réussite du film, qui ne repose pas que sur l'ignorance d'un spectateur non-averti mais bien sur l'art de créer et de maintenir ce même spectateur et même un qui serait plus connaisseur en haleine. 


Au risque d’en surprendre plus d’un, Argo est aussi comique. Avec une légère touche d’autodérision et de cynisme, le réalisateur et les acteurs parviennent à nous faire rire alors même que la situation semble dangereuse et peu probable d’aboutir à une conclusion heureuse. Par exemple, le principal agent chargé d’expatrier les diplomates risque sa vie pour son pays dans le plus grand secret et est de ce fait obligé de dire au revoir à sa famille (en fait, il ne réussit pas à leur adresser un ultime adieu et le silence téléphonique ou plutôt le bruit désagréable du bip qui ne s’arrête que sur la messagerie est déchirant) : cela est bien tragique. Les diplomates sont inquiets d’être découverts, mis en prison, torturés puis tués. Les otages de l’ambassade sont menacés d’être fusillés et sont torturés psychologiquement.


Bande annonce VOST

Pourtant, malgré tout cet environnement anxiogène et ces évènements dramatiques, le film nous tire des rires parce que l’opération pour sauver les diplomates consiste à inventer et à prétendre le tournage d’un faux film. Le film dans le film, la boucle est bouclée et la métaphore est drôle surtout quand les scènes et les dialogues se moquent ouvertement d’Hollywood et de ses manières langagières comme coutumières en matière de production et de réalisation cinématographique. La première pierre est lancée, tant celle de la critique que celle de la construction de l’opération. Celle-ci se base sur l’édifice d’un faux film de science-fiction d’inspiration moyen-orientale. Les diplomates devront prétendre être des membres de l’équipe de tournage à la recherche de lieux moyen-orientaux pour le tournage effectif. Se créé alors petit à petit un scénario, des story-boards et une vraie histoire, fortement inspirée de Star Wars. Le petit clin d’œil pour les fans de la saga des étoiles est d’ailleurs la bienvenue et tout aussi « sympathique ». Et alors même qu’à une réunion d’artistes hollywoodiens délurés, déguisés n’importe comment en aliens en aluminium et autres bizarreries dorées pour faire plus « oriental », les acteurs lisent avec émotion un script complètement bidon et nullissime autant par son contenu que par sa forme, au même moment une femme iranienne dévoile aux caméras les atrocités dont les iraniens ont pu souffrir et ce pourquoi ils veulent récupérer l'ancien Shah à tout prix pour le juger. Elle accuse directement les Etats-Unis de manquer au fondement même de justice et d’égalité ainsi que de respect des droits de l’homme. Ce parallèle est saisissant d’émotion et de contraste. 



Je soulignerais également juste un détail : la re contextualisation dans les années 1980 est tout à fait bien réussie et prenante. Ce n’est ni forcé ni « kitch » mais au contraire totalement naturel et on retrouve les classiques décors, repères et styles de ces années là. De plus, on retrouve un casting brillant, tout à fait bien porté non par un seul acteur-leader comme aurait pu s’imposer Ben Affleck mais par une vraie équipe : Bryan Cranston que l’on connaît davantage pour ses rôles délurés dans les séries Malcolm ou plus récemment Breaking Bad remplit son rôle d’agent de la CIA qui commande les opérations très sérieusement. John Goodman représente quant à lui l’emblème même du cinéma Hollywoodien. 

Pour revenir sur le suspens, il va croissant comme mon rythme cardiaque qui ne cessait de grimper en flèche. Au summum du suspens, je n’en pouvais plus de me tortiller jusqu’au dénouement pour savoir ce qui allait se passer. Jusqu’à la dernière minute on hésite et on ne sait pas. Ce qu’on sait en revanche, c’est que l’histoire est capable de tous les revirements pour nous surprendre et que ce n’est en général jamais ce qu’on prévoyait qui va arriver. Pas de spoiler donc, je vous laisse la joie d’aller découvrir par vous-même cette intense émotion et la conclusion finale. 

Pour moi, qui étudie les relations internationales, ce film a d’autant plus d’intérêt qu’il met en valeur les opérations diplomatiques, les interventions délicates à mener en temps de crise, les ressorts et les enjeux des conflits internationaux. Ben Affleck réussit très bien à mettre tout cela en perspective avec professionnalisme. 



/ !\ Alerte Spoiler (je ne raconte pas de scènes cruciales ni la fin mais je donne mon avis sur une décision de l’équipe de production qui peut vous faire comprendre le fin mot de l’histoire) 

En parlant de final, je trouve bien dommage, mais cela reste mon avis personnel, que l’équipe de production ait décidée de changer la fin juste pour faire plaisir aux iraniens et ainsi le diffuser en Iran. Depuis quand devrait-on se plier à ce genre de censure de sa propre œuvre pour faire un peu plus d’argent et ne pas « heurter la sensibilité iranienne » ? Depuis quand devrait-on changer l’histoire ? Elle est comme elle est et il faut la présenter comme telle, même si parfois elle peut être sujette à plusieurs interprétations, quand les faits sont là, bels et bien clairs, il s’agit de les exposer à la fois avec sérieux et avec humour, comme l’a si bien fait Ben Affleck. 

Alors, tous à vos écrans!

jeudi 20 décembre 2012

Tout est bon dans le Cochon de Gaza

Sorti le 21 septembre 2011
De Sylvain Estibal
Avec Sasson Gabai, Baya Belal
Genre: Comédie dramatique, Historique
Français, Belge, Allemand












Le film traite d'un sujet politiquement sérieux : celui du conflit israélo-palestinien qui sévit depuis maintenant trop longtemps. Il montre à la fois l'absurdité et l'enlisement de celui-ci. Avec beaucoup d'humour, il provoque un rire désopilant chez le spectateur qui se trouve face à des situations hilarantes. Mais ici le côté drôle n'est pas là pour masquer superficiellement des enjeux plus profonds; il est là pour dédramatiser une situation absurde: l'impossibilité pour deux peuples de cohabiter, de coexister. Cet humour marque la simplicité et la connivence de deux mondes qui peuvent tout à fait se réunir sur des plans aussi humains que ceux touchants aux besoins de se loger, se nourrir, rire, croire et vivre ensemble mais qui n’y arrivent pas. Même si le long-métrage traite des méfiances des musulmans à l'égard des juifs et inversement, ce notamment grâce au regard perplexe du protagoniste Jafaar à travers les grilles qui le séparent d'une colonie israélienne, un but et un intérêt communs ne peuvent que rapprocher des êtres au premier abord si différents, qui ne le sont finalement que par leurs coutumes et leurs croyances. Pourtant ici une croyance les réunit : le cochon est un animal impur. Ce but commun est celui sinon de se débarrasser tout du moins de tirer profit d'un cochon, animal qui ne peut toucher aucun des deux sols sans le souiller et qui est considéré comme le pire des vices, mais moins pire que de parler à un soldat israélien ayant envahi votre maison. Le musulman considère ce cochon comme une punition d’Allah et en a peur. Il est plusieurs fois vu en train d’essayer de se purifier grâce aux ablutions. L’eau est pour lui salvatrice alors même que c’est cette eau méditerranéenne qui lui a apporté le cochon. Jafaar est terrifié par une créature qu’il ne connaît pas et qu’il apprend à apprécier ou plutôt considérer davantage au fil des bobines qui passent. Le cochon serait-il, plus qu’un lien entre les deux peuples, une métaphore de l’Autre être qu’il faut comprendre et accepter ?
Sans promouvoir un message politique en faveur d’un Etat palestinien (« Ce cochon est un danger pour notre Etat ! - Mais on n’a pas d’Etat ! » réplique un palestinien comme dans un cri déchirant mais ironique à propos de cette sorte de manque de reconnaissance d’une entité qui pourtant existe sur le terrain) ou du renforcement des colonies israéliennes, sans prendre position (et c’est là certainement le coup de génie du réalisateur Sylvain Estibal), le Cochon de Gaza promeut surtout un message social et pacifique. Toute l’émotion se ressent lorsque les dialogues écrits avec justesse laissent placent au silence de la mer, à la beauté des paysages, à l’envol des oiseaux vers une liberté tant désirée, à cette dispute vaine, inutile, silencieuse, exprimée uniquement par des gestes en ombre et lumière, entre un homme musulman et une femme juive, entre deux communautés, dans la promiscuité d’une barque bancale et fragile, où l’équilibre se mesure en millimètres et se joue à peu de tempérance près. Suivent les dernières images : celles de l’espoir d’une reconstruction quitte à ce qu’elle soit sur des béquilles parce que plusieurs membres décisifs ont été perdus en cours de route, l’espoir d’une réunion autour de joies quotidiennes de la vie, l’espoir de sourires, l’espoir de retrouver une terre, l’espoir de survivre, l’espoir de simplement se tenir debout côte à côte dans la tolérance face au dynamisme d’une danse.
En sortant de la salle, on se dit « tout ça pour un cochon ! » avec quelque peu d’ironie parce que toutes ces péripéties, et on constate à quel point il est facile de s’enliser rapidement dans une situation complexe et de s’enrôler sans le vouloir dans un groupe terroriste, sont les conséquences d’un petit animal pourtant inoffensif et pêché complètement au hasard. 

Bande annonce 

Alors bien sûr on se demande : « qu’est-ce qu’un cochon vietnamien faisait dans les eaux Méditerranéennes ? » mais il n’était qu’un prétexte pour faire un beau film de plus sur le sujet israélo-palestinien mais avec davantage d’humour, de beauté, d’émotion et surtout d’originalité. C’est ce qui marquera le spectateur enthousiaste à la vue de cet hymne au partage. La poésie est totale, jusqu’à la fin et la musique nous transporte dans un voyage à la fois initiatique et renaissant. Après réflexion, on se dit aussi que tout cet espoir n’est qu’une illusion au pied d’un mur de béton armé gigantesque, on se dit que cette vision poétique et drolatique n’est en fait qu’utopique, qu’elle nous a fait rêver pendant une heure trente et que malheureusement, la réalité est autre. Mais je pense qu’il ne faut tomber ni dans l’optimiste naïf ni dans le défaitisme absolu : les solutions existent, les intérêts communs aussi, il faut creuser des tunnels dans les mentalités pour percer les blocs d’intolérance et il faut aller jusqu’au bout des résolutions. 



Alors, tous à vos écrans! 

The King's speech



Sorti le 2 février 2011
De Tom Hooper
Avec Colin Firth, Helena Bonham Carter
Genre: Biopic, Historique
Britannique 











March 2011

The Hollywood Awards Ceremony has just awarded The King’s Speech for its best director, actor and original screenplay but most of all as the best movie. This can easily be explained by the fact that the feature film is excellent and touching.
As the title highlights it, the speech and also the way of speaking of a King is going to be exposed. What makes the story even more compelling and harrowing is that it is a true story. The one of King George VI of Britain (magnificently played by Colin Firth, A Girl with Pearl Earring, A single man) compelled to come to power and to the throne in 1936 when his brother Edward VIII (Guy Pearce) abdicated because of he fell in love with a married woman. Edward VIII’s lifestyle, his jazz, champagne, parties and love stories did not hold to the rank of a King.




George VI has to deliver a speech to encourage his people, his nation and his troops at the beginning of the war in 1939. However, since his childhood, he has struggled against a physical disability: stammering. The speech is even more important as new means of communication like the radio have developed faster and as new technologies have appeared, making the highest authority closer to the people. The late George V (Michael Gambon) had said clearly to his son that the King had to evolve with the times.
Thus, this very good historical reconstruction tells a human story. In fact, in the background there are settings and costumes of the 1930’s, airships in the sky; but this is also the drama of a man who couldn’t express himself distinctly as he wanted to. The tragedy of a prince humanized while laughing and playing the penguin with his two daughters but also formal when these two little girls cannot hug their father anymore and must bow because he has just been crowned. The sadness of a man wearied down by his stammer.
Hence his wife Lady Elizabeth Bowes-Lyon is looking for an efficient doctor who could finally help him. Helena Bonham Carter, usually seen as freakish characters such as in Alice in Wonderland or Sweeney Todd, plays here a more restrained and traditional character, a wife helping and supporting her husband, in which suits her perfectly as well.
Lionel Logue (performed by the Australian Geoffrey Rush) is an eccentric, unconventional, extravagant character who is going to loosen the King up who is ruled by the royal protocol. With provocation he calls him by his nickname Bertie to establish an informal relationship which will ease the progression of the recovery, despite the King's stand-offish behaviour. With a humorous hint he makes him practice language exercises. For instance George VI has to swear many times, to shout dirty words articulating because the strong feeling of anger allows him not to stammer: “it’s actually quite a good fun!” says the King’s wife while seated on her husband stomach who is trying to control his breathing. With a tinge of irony, Lionel Logue laughs at the snobbish manners of George VI by making jokes about knights and some inappropriate remarks. 


The swearing scene seems inappropriate 
when in reality it is humorous and it helps the King


This underlines the social gap between the two men who have different educations, ways of life, ways of seeing the world that surrounds them, responsibilities... After all, the therapist is “only” the son of a beer salesman that is to say nothing compared to the King while the King is the King and this is enough to justify his importance and the deference people owe him. The scene when the two men fight is striking because we feel sorry for Mr. Logue who just wanted to help but instead was rejected.
Through the language exercises, the musicality of the English language and the importance of pronunciation are depicted. When George VI reads his speech, the sheet of paper is full of red shafts and annotations to help him to do the right breaks and pauses (musical silences) so that he can sing with the best intonations. The microphone is an imposing vector, almost becoming a full-fledged character throughout the movie. It is a monster which intimidates the speaker and finally becomes his instrument. We wonder until the last minute if the King will succeed in opening his mouth to utter the sounds during the so long awaited speech. The suspense reaches its climax. The English language is in this way valued. The dialogues are short (kind of stichomythia) but precise. The screenplay is amazing since each word is chosen cautiously and with minimalism. What is needed to be said is said, nothing less, nothing more. It conveys a “mise-en-abyme” of the stammer and the difficulties to speak and express oneself whether in arts, in a movie or in everyday’s life. It makes the viewer think about his own ability to talk and to yack about nonsense all the time. We feel a desire to choose better our words and to think twice before talking.
Furthermore, there is a Freudian and psychological dimension which can be observed since the King step by step confides in his friend his uneasiness and his pain as a child different because of his physical disability. At first, he thinks his stammering is physical but he understands it is more psychological. He needs even more than wants to assert himself and to be listened to. For example he yells in Westminster abbey “I HAVE A VOICE!” This cry for help is moving and heart-breaking. During the speech declaring war on Germany, people will finally listen to him. The images of different groups of people through England listening to the radio, soldiers or women, create an ekphrasis.



Thanks to many low angle shots, the camera gives the impression that even in spite of his disability the protagonist is powerful and superior. Many times the camera is “inside” George VI so the spectator feels his distress. Through his eyes, we see his hopeless vision. However we will never be able to understand his burden of “kinging” and ruling a country with a problem of elocution and on the eve of a major international crisis.
The excellent, dramatic, intense and dynamic music (the seventh symphony of Beethoven or the compositions of Alexandre Desplat) lingers on the action or stops as the red blinker stops. Light is also very important. The fog of London contributes to the poetic picture of escapism and blur in the scene the two men are walking in the park. Lionel Logue enlightens the darkness of the King’s problem.
At the end of the performance, the beauty, the strength, the talent of the director Tom Hooper, the screenwriter David Seidler, the cast and the movie left me totally speechless.

Bande annonce VOST

Alors, tous à vos écrans!